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Exclusif - Alassane Ouattara : "Les candidatures de Soro et Gbabo relèvent de la provocation"

Rédigé par par Hervé Gattegno et Caroline Mangez, Paris Match le Samedi 17 Octobre 2020 à 03:01 | Lu 1282 fois



Alassane Ouattara, le 22 août 2020. REUTERS/Luc Gnago/File Photo
Alassane Ouattara, le 22 août 2020. REUTERS/Luc Gnago/File Photo
Il avait promis de ne pas se représenter. Coup de théâtre : le décès de son dauphin a décidé le président de la Côte d’Ivoire à briguer un troisième mandat très contesté par ses opposants. Il nous a reçus à Abidjan pour s’expliquer. 
 
Sa réussite est incontestable. Cet économiste, ancien directeur général adjoint du FMI, a été aussi le seul Premier ministre d’Houphouët-Boigny. Il a connu l’exil, a échappé à des tentatives d’assassinat. Elu président, il a pu s’emparer du pouvoir en 2011 avec l’aide des Nations unies. Réélu triomphalement en 2015, il avait promis de quitter le pouvoir… jusqu’à ce que Amadou Gon Coulibaly, son premier ministre et dauphin désigné, succombe le 8 juillet dernier à une crise cardiaque. Tenant du titre jusqu’au 1er tour prévu le 31 octobre prochaine, le président ivoirien affirme craindre qu’une guerre de succession ne mette en péril son héritage : neuf ans d’un développement économique salué par la communauté internationale. Il s’est longuement confié à Paris Match sur ces élections, les tensions et les inquiétudes qu’elles génèrent. Extraits.
 
Paris Match. Vous êtes candidat à un troisième mandat à la tête de la Côte d’Ivoire. Est-ce la volonté de garder le pouvoir ou un “sacrifice personnel”, comme l’affirment vos proches ?
Alassane Ouattara. J’avais décidé de passer la main et, croyez-moi, j’en étais heureux. J’ai 78 ans, j’ai beaucoup donné pour mon pays. Je m’apprêtais à ouvrir une fondation, tout était prêt. J’avais désigné mon successeur : Amadou Gon Coulibaly, mon Premier ministre, mon collaborateur depuis trente ans, je le considérais comme un fils. C’était un ingénieur et un économiste, il avait toutes les qualités pour être un grand président. Sa mort brutale d’une crise cardiaque m’a dévasté. Notre parti, qui représente la majorité des Ivoiriens, avait moins de sept semaines pour trouver un autre candidat. Et des primaires nous auraient fait courir le risque de divisions qui auraient fait le lit des prédateurs. C’est pourquoi j’ai dû me dévouer, quitte à rompre avec l’engagement que j’avais pris devant la nation le 5 mars dernier. Dans ce sens, oui, c’est un sacrifice. Et ce dernier mandat – si, comme je l’espère, je suis réélu – sera un sacerdoce.
 
Paris Match. Vos opposants vous reprochent de violer la Constitution, qui n’autorise que deux quinquennats successifs. Que leur répondez-vous ?
Alassane Ouattara. Ce sont des bêtises ! Notre Constitution date de 2016, elle a instauré une nouvelle République en Côte d’Ivoire. Les cartes ont donc été rebattues. Je vous le répète, je n’ai jamais cherché à m’accrocher – contrairement à mes prédécesseurs. J’ai tout fait pour préparer la relève et je n’ai pas besoin d’être président pour garder mon train de vie, tous les Ivoiriens le savent. J’ajoute que, parmi mes adversaires, Laurent Gbagbo est resté onze ans au pouvoir et Henri Konan Bédié a été chassé par un coup d’Etat pendant son second mandat, puisqu’il avait terminé celui d’Houphouët-Boigny. Je ne suis donc pas le seul à briguer un troisième mandat. Et s’ils veulent appliquer l’ancienne Constitution, la limite d’âge pour être candidat y était de 75 ans et une visite médicale était imposée. Avec ces conditions-là, au moins un de mes challengers ne pourrait pas se présenter…
 
L’Union européenne a publié la semaine dernière un message appelant votre gouvernement à garantir la sécurité et l’impartialité de l’élection. Y a-t-il des raisons d’en douter ?
L’UE a veillé à la tenue du précédent scrutin, en 2015. Les Européens savent qu’il a été transparent, démocratique et inclusif. Ils ne peuvent douter de ma volonté d’ancrer la démocratie dans ce pays. Je suis en train d’y parvenir. Tous les observateurs étrangers qui le voudront pourront vérifier par eux-mêmes.
 
"Emmanuel Macron veut rompre avec la Françafrique. Se mêler de l’organisation de nos élections, ce ne serait pas son genre."
 
Vous excluez donc le report de l’élection ?
Bien sûr ! Il n’en est pas question. Encore une fois, respectons la Constitution : le scrutin présidentiel doit se tenir le dernier samedi du mois d’octobre de la cinquième année du président en exercice. La date du 31 octobre est donc inscrite dans le marbre.
 
Est-il exact qu’Emmanuel Macron vous a suggéré de reporter le vote quand vous l’avez rencontré à l’Elysée, le 4 septembre ?
Emmanuel Macron veut rompre avec la Françafrique. Se mêler de l’organisation de nos élections, ce ne serait pas son genre. Je suis d’ailleurs surpris de voir certains de mes opposants en appeler à lui, en s’étonnant que la France ne s’invite pas dans nos débats.
 
Il ne vous a rien demandé ?
Nous avons déjeuné en tête à tête, en amis. Il a cherché à savoir si la campagne et le vote se dérouleraient dans le calme. Je lui ai répondu que j’en avais la conviction. Nous avons évoqué aussi d’autres sujets, comme le Mali.
 
"Le poison de l’“ivoirité”, ce concept de préférence nationale que Bédié n’a cessé d’exploiter à des fins électoralistes, n’est pas absorbé."
 
D’une façon plus générale, comment qualifiez-vous vos relations avec la France ?
Confiantes, respectueuses, amicales. Je regrette que nos échanges économiques aient diminué. La Chine et le Maroc sont désormais nos partenaires principaux, devant la France. Les banques françaises, notamment, ont quitté la Côte d’Ivoire. C’était une erreur, je n’ai cessé de le dire à vos présidents – Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron.
 
Les récentes violences, ces affrontements politico-ethniques qui déjà ont émaillé la campagne faisant quinze morts ne vous font pas douter ?
Il est exact qu’il y a eu des heurts – dans quatre communes, sur 201. Des enquêtes sont en cours, les résultats seront rendus publics et toutes les personnes impliquées seront traduites devant la justice. Cela suffit-il pour laisser dire que la Côte d’Ivoire serait à feu et à sang ? Avez-vous croisé dans les rues des gens avec le couteau entre les dents ? Dans tous les pays, l’approche des élections est un facteur de tension. Regardez ce qui se passe aux Etats-Unis, la plus grande démocratie du monde. Et en France, n’oubliez pas ce qui s’est passé avec les gilets jaunes. Ne tombez pas dans le piège de la propagande. Ceux qui veulent le pouvoir par la force ont intérêt à alimenter la peur parce qu’ils craignent le vote démocratique.
 
Comment éviter que les clivages ethniques ne fassent resurgir la violence que la Côte d’Ivoire a déjà connue ?
Par la démocratie. Le poison de l’“ivoirité”, ce concept de préférence nationale que Bédié n’a cessé d’exploiter à des fins électoralistes, n’est pas absorbé. J’appelle donc à la vigilance : nos institutions ne toléreront aucun dérapage, dans aucun discours. Ce n’est pas une menace, mais nous devons sortir de cette spirale destructrice. Notre pays a connu un redressement spectaculaire. Je ne laisserai pas les prédateurs, des gens sans foi ni loi, anéantir tout ce qui a été accompli.
 
"La place de Guillaume Soro n’est pas dans la campagne électorale mais en prison."
 
Vous faites campagne sur votre bilan ?
Je suis fier de ce qui a été réalisé. En neuf ans, la Côte d’Ivoire a connu un taux de croissance moyen de 8 % par an, et l’inflation n’a jamais dépassé les 2 %. Seuls trois ou quatre pays au monde en ont fait autant sur une si longue durée. Dans le même temps, le revenu par habitant a doublé – il est aujourd’hui le plus élevé d’Afrique de l’Ouest. Quand j’ai accédé à la présidence, en 2010, environ un tiers du pays était électrifié ; ce sera 80 % à la fin de cette année. Désormais, nous mettons l’accent sur l’approvisionnement en eau potable, la construction d’écoles et de centres hospitaliers, afin que les populations n’aient pas à parcourir plus de 5 kilomètres pour avoir accès aux soins ou à l’éducation. Au plan politique, notre nouvelle Constitution représente d’immenses progrès. Les droits de l’homme y figurent pour la première fois, elle a créé une Cour des comptes, une Cour de cassation et un Conseil d’Etat là où nous n’avions qu’une Cour suprême qui tranchait tous les litiges. C’est la garantie pour les Ivoiriens d’un véritable Etat de droit.
 
L’un de vos rivaux, Guillaume Soro, l’ancien chef de la rébellion nordiste, a vu sa candidature invalidée. De Paris, où il s’est réfugié, il annonce que l’élection n’aura pas lieu s’il est empêché de se présenter. Que répondez-vous ?
Il n’est pas le seul dans son cas : sur 44 candidatures, seules quatre ont été retenues par le Conseil constitutionnel, qui statue en toute indépendance. Ce qui a tout changé, c’est le système des parrainages, inspiré du modèle sénégalais et français – ce sont d’ailleurs mes opposants qui l’ont réclamé ! Il faut un socle d’élus pour pouvoir se présenter. La plupart des exclusions ont été prononcées à cause de l’insuffisance ou de l’irrégularité des parrainages. Soro, comme Gbagbo, a été écarté car son casier judiciaire n’est pas vierge. Tous deux le savaient parfaitement : leurs candidatures relèvent de la provocation.
 
Mais sans eux face à vous, l’élection ne risque-t-elle pas de manquer de légitimité ?
La légitimité, c’est le respect du droit. La place de Guillaume Soro n’est pas dans la campagne électorale mais en prison. S’il a quitté la Côte d’Ivoire sans y revenir depuis la fin de l’année, c’est parce qu’il sait qu’il devra y être jugé pour une tentative de déstabilisation. Les preuves contre lui sont accablantes. J’ajoute que, depuis un an, alors qu’il ne travaille pas, il mène la grande vie à Paris, reçoit dans des restaurants de luxe et tient des conférences de presse dans des palaces. Comment peut-il avoir ce train de vie ? D’où sort cet argent ? Les autorités françaises devraient s’en préoccuper.
 
"J’ai toujours rêvé d’une élection à l’américaine, avec deux grands candidats. Cela clarifierait le débat."
 
Vous trouvez la France complaisante envers lui ?
Je dis juste qu’il devrait respecter le devoir de réserve qui sied à qui séjourne dans un pays avec un visa de tourisme.
 
Soro assure que vous auriez une dette envers lui car sans la rébellion armée qu’il menait pendant vos huit années d’exil, vous ne seriez jamais parvenu au pouvoir. Il a tort ?
Il a le droit de faire campagne avec les arguments qu’il veut, c’est le débat démocratique. Mais je dis, moi, que c’est une insulte à ceux qui se sont battus pour que la Côte d’Ivoire en finisse avec le fléau de l’“ivoirité”. Soro a écrit un livre pour dénoncer l’“ivoirité” et accuser Bédié d’en être le promoteur ; aujourd’hui, il est prêt à se rallier à lui pour me combattre. Où est la cohérence ? Je pense que ce jeune homme, enivré par l’argent et le pouvoir, a simplement perdu la tête.
 
Mais ne redoutez-vous pas que Soro et Gbagbo, exclus de la campagne, appellent à voter pour Henri Konan Bédié contre vous ?
Ça ne m’inquiète pas. Au contraire, j’ai toujours rêvé d’une élection à l’américaine, avec deux grands candidats. Cela clarifierait le débat. Au passage, laissez-moi vous rappeler qu’aux dernières municipales Soro a présenté 50 candidats dans 201 communes, il n’a gagné que trois mairies. Cela permet de juger son poids politique réel.
 
"Des dispositions seront prises quant au retour de Gbagbo, sachant qu’il est condamné à vingt ans de réclusion pour crimes économiques."
 
Plusieurs de vos adversaires commencent à évoquer un boycott du scrutin si les candidatures écartées ne sont pas réexaminées ? Est-ce une menace que vous prenez au sérieux ?
C’est leur affaire. Seuls des candidats qui savent qu’ils seront battus peuvent avoir envie de se retirer.
 
Etes-vous inquiet pour votre sécurité personnelle ? Des armes ont été retrouvées chez Guillaume Soro…
Oui, de nombreuses armes ont été saisies chez lui. Preuve qu’il est capable d’intentions dangereuses. J’ai déjà été victime de violence. En 2002 et en 2010, on a tenté de m’assassiner. C’étaient les méthodes d’autrefois. Aujourd’hui, la police et la gendarmerie ivoiriennes maintiennent parfaitement l’ordre, et nous avons une armée très professionnelle dans laquelle l’ancienne rébellion est totalement intégrée. La sécurité s’est améliorée et la démocratie a avancé.
 
Laurent Gbagbo a été acquitté devant la Cour pénale internationale. Son retour en Côte d’Ivoire est-il envisageable ?
Il a commis des erreurs mais c’est un frère, et un ancien président. La Côte d’Ivoire reste son pays. Il faut attendre le verdict en appel devant la CPI, car pour l’instant il est en liberté sous condition. Ensuite, des dispositions seront prises quant à son retour, sachant qu’il est condamné à vingt ans de réclusion pour crimes économiques. En 2011, pour contourner l’embargo qui visait à lui faire lâcher le pouvoir, il a signé des ordonnances qui ont permis aux forces de l’ordre de dévaliser la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest. Un demi-milliard d’euros ont été volés. La justice ivoirienne a rendu son verdict.
 
"Nous avons aussi rendu le masque obligatoire et gratuit, ainsi que les tests et la prise en charge des malades. C’est sans doute ce qui a été décisif dans la lutte contre la covid"
 
Vous avez amnistié Simone Gbagbo, son épouse ; n’auriez-vous pu en faire de même pour lui ? Vous plaidez pour la réconciliation…
C’est vrai, j’ai levé toutes les poursuites contre 800 personnes qui étaient mêlées à la crise post-électorale, dont Simone Gbagbo. Je n’ai pas voulu être le chef d’Etat qui enverrait une femme devant la CPI. Elle a sans doute été une mauvaise conseillère de son mari, mais c’est lui qui était responsable.
 
L’épidémie mondiale de Covid-19 n’a fait que 120 morts dans votre pays. Comment l’expliquez-vous ?
Dès la mi-mars, nous avons compris que les cas d’infection étaient “importés”. Nous avons donc fermé nos frontières et isolé Abidjan. Personne ne pouvait plus en sortir sans autorisation. Cela a permis de concentrer 98 % des cas dans la capitale et de maintenir l’activité dans le pays. Et tous ceux détectés en dehors d’Abidjan y étaient rapatriés pour éviter la propagation du virus. Nous avons aussi rendu le masque obligatoire et gratuit, ainsi que les tests et la prise en charge des malades. C’est sans doute ce qui a été décisif.
 
Un putsch militaire a eu lieu au Mali, où la situation politique reste incertaine. Est-ce une préoccupation pour vous ?
Le Mali est un pays voisin et ami. En 2013, j’avais alerté François Hollande de l’avancée des terroristes en lui disant : “S’ils prennent Bamako, demain ils sont à Abidjan.” De là est partie l’intervention des troupes françaises avec les opérations Serval, puis Barkhane. Un coup d’Etat n’y changera rien : sans la France, le Mali tomberait aux mains des djihadistes. C’est ce qu’il faut éviter.




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