Des soldats français au camp de réfugiés tutsi, le 30 avril 1994 à Nyarushishi, au Rwanda. Pascal GUYOT / AFP
"Il faut nous secourir maintenant. Demain ou après-demain, il n'y aura plus personne": le 27 juin 1994, à Bisesero, deux Tutsi rwandais, Eric et Bernard, prenaient le risque de sortir des "trous" qui leur servaient de cachettes innommables face aux tueurs génocidaires et "suppliaient" des militaires français de l'opération Turquoise de ne pas abandonner aux massacres des centaines de personnes. En vain.
Les militaires français reviendront bien pour leur venir en aide, mais trois jours plus tard, le 30 juin. Trop tard pour Joséphine, 12 ans, petite soeur d'Eric Nzabihimana, et pour son épouse Catherine, 28 ans, tuées par les milices extrémistes hutu les 28 et 29 juin, comme des centaines d'autres Tutsi réfugiés dans les collines de Bisesero (ouest du Rwanda).
L'AFP a recueilli les témoignages saisissants de Eric Nzabihimana et Bernard Kayumba fin juin 2019, 25 ans après le drame de Bisesero. Depuis 2005, ils sont parties civiles en France aux côtés de quatre autres rescapés, de l'association Survie, de la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH et LDH) notamment et accusent les militaires français d'avoir sciemment abandonné aux génocidaires les Tutsi de Bisesero. Plusieurs hauts gradés français en retraite ont à nouveau fustigé le 20 avril dans un communiqué "l'inanité de ces accusations ignominieuses".
Lundi, le parquet de Paris a requis un non-lieu général dans l'enquête visant cinq officiers généraux de l'opération Turquoise. La décision revient désormais aux juges d'instruction.
Le 22 juin 1994, deux mois après le début du génocide, orchestré par le régime extrémiste hutu au pouvoir (plus de 800.000 morts entre avril et juillet selon l'ONU), l'ONU donnait son feu vert à la France pour une opération militaro-humanitaire, Turquoise, visant notamment à "faire cesser les massacres" et "contribuer à la protection des civils en danger" au Rwanda.
Eric Nzabihimana a raconté à l'AFP la terreur envers les miliciens Interahamwe rôdant à la recherche de leurs proies, les blessés réfugiés dans les forêts, mutilés par les machettes, presque morts, les mois "à vivre comme des animaux" dans des trous dans le sol, à ne sortir que la nuit pour chercher à se nourrir.
"Cadavres encore chauds"
"Ça faisait près de 3 mois que j'étais dans les forêts; en banlieue de Bisesero, j'ai aperçu (le 27 juin) un convoi de camions, alors je suis sorti de ma cachette", explique Eric. "J'ai crié +au secours ! On est pourchassés par des tueurs en armes chaque jour!+; ils ne se sont pas arrêtés, j'ai été obligé de m'interposer" pour tenter de stopper le convoi de militaires français.
Plusieurs journalistes français qui accompagnaient les militaires ont été témoins de la scène, note-t-il.
Certains militaires, raconte Eric, lui répliquent "ne pas comprendre" la situation. "Alors nous avons été obligés de leur montrer des cadavres qui gisaient encore chauds, qui saignaient et venaient d'être tués".
Eric prévient les militaires qu'il faut les secourir "maintenant. Sinon demain ou après-demain, il n'y aura plus personne...". "On les a longuement suppliés de ne pas nous abandonner".
Selon ces deux rescapés, les militaires ont répondu ne "pas être prêts pour aujourd'hui". "+Faut que vous restiez dans vos cachettes, on pourra venir dans 2 ou 3 jours+", ont-ils ajouté, témoigne Eric. "Nous leur avons alors proposé de nous mettre devant leur convoi et de nous amener à pied à 5 km de là où ils campaient déjà et où nous aurions pu être secourus. Mais ils ont dit non".
"Moi personnellement, j'ai perdu ma petite soeur, elle a été tuée le 28 par les Interahamwe, et ma femme, le 29...", lâche Eric.
"Les militaires français sont revenus" pour sauver les personnes encore en vie le 30 juin, relève-t-il. "Il faut le reconnaître", dit-il. "Notre reproche, c'est qu'ils l'ont fait à la suite de pressions des médias" et "qu'ils auraient dû le faire avant, lorsqu'ils en étaient informés et capables".
"Un scandale français"
Bernard Kayumba, qui avait 25 ans à l'époque, juge toujours "incompréhensible" l'attitude des militaires français. Il venait de passer un mois terré avec sept personnes "dans un trou creusé à la main, la nuit, en cachette des tueurs".
"On était épuisés, des morts-vivants; il y avait des cadavres ici et là; on leur a dit +vraiment, il ne faut pas nous abandonner parce que si vous partez, ils (les tueurs) vont descendre sur nous+" des collines environnantes, relate-t-il.
"Mais ils ont répondu qu'ils n'étaient pas bien préparés, qu'ils allaient surveiller la zone avec des hélicoptères puis revenir", rapporte-t-il. Les militaires français "avaient des moyens de communication pour demander une intervention ou des effectifs à proximité", affirme Bernard. "Pourquoi dans trois jours et pas dans une heure?".
Face à cette réponse, "tout le monde était désespéré; je leur ai demandé de nous achever, de nous lancer une bombe pour en finir avec nous...", témoigne-t-il.
Si les Français "avaient rempli leur mission humanitaire" et s'"ils étaient restés le 27, environ 1.000 Tutsi n'auraient pas été tués", s'émeut Eric.
Pour Bernard, "Bisesero reste un scandale français".
Abidjan4all.net avec AFP
Les militaires français reviendront bien pour leur venir en aide, mais trois jours plus tard, le 30 juin. Trop tard pour Joséphine, 12 ans, petite soeur d'Eric Nzabihimana, et pour son épouse Catherine, 28 ans, tuées par les milices extrémistes hutu les 28 et 29 juin, comme des centaines d'autres Tutsi réfugiés dans les collines de Bisesero (ouest du Rwanda).
L'AFP a recueilli les témoignages saisissants de Eric Nzabihimana et Bernard Kayumba fin juin 2019, 25 ans après le drame de Bisesero. Depuis 2005, ils sont parties civiles en France aux côtés de quatre autres rescapés, de l'association Survie, de la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH et LDH) notamment et accusent les militaires français d'avoir sciemment abandonné aux génocidaires les Tutsi de Bisesero. Plusieurs hauts gradés français en retraite ont à nouveau fustigé le 20 avril dans un communiqué "l'inanité de ces accusations ignominieuses".
Lundi, le parquet de Paris a requis un non-lieu général dans l'enquête visant cinq officiers généraux de l'opération Turquoise. La décision revient désormais aux juges d'instruction.
Le 22 juin 1994, deux mois après le début du génocide, orchestré par le régime extrémiste hutu au pouvoir (plus de 800.000 morts entre avril et juillet selon l'ONU), l'ONU donnait son feu vert à la France pour une opération militaro-humanitaire, Turquoise, visant notamment à "faire cesser les massacres" et "contribuer à la protection des civils en danger" au Rwanda.
Eric Nzabihimana a raconté à l'AFP la terreur envers les miliciens Interahamwe rôdant à la recherche de leurs proies, les blessés réfugiés dans les forêts, mutilés par les machettes, presque morts, les mois "à vivre comme des animaux" dans des trous dans le sol, à ne sortir que la nuit pour chercher à se nourrir.
"Cadavres encore chauds"
"Ça faisait près de 3 mois que j'étais dans les forêts; en banlieue de Bisesero, j'ai aperçu (le 27 juin) un convoi de camions, alors je suis sorti de ma cachette", explique Eric. "J'ai crié +au secours ! On est pourchassés par des tueurs en armes chaque jour!+; ils ne se sont pas arrêtés, j'ai été obligé de m'interposer" pour tenter de stopper le convoi de militaires français.
Plusieurs journalistes français qui accompagnaient les militaires ont été témoins de la scène, note-t-il.
Certains militaires, raconte Eric, lui répliquent "ne pas comprendre" la situation. "Alors nous avons été obligés de leur montrer des cadavres qui gisaient encore chauds, qui saignaient et venaient d'être tués".
Eric prévient les militaires qu'il faut les secourir "maintenant. Sinon demain ou après-demain, il n'y aura plus personne...". "On les a longuement suppliés de ne pas nous abandonner".
Selon ces deux rescapés, les militaires ont répondu ne "pas être prêts pour aujourd'hui". "+Faut que vous restiez dans vos cachettes, on pourra venir dans 2 ou 3 jours+", ont-ils ajouté, témoigne Eric. "Nous leur avons alors proposé de nous mettre devant leur convoi et de nous amener à pied à 5 km de là où ils campaient déjà et où nous aurions pu être secourus. Mais ils ont dit non".
"Moi personnellement, j'ai perdu ma petite soeur, elle a été tuée le 28 par les Interahamwe, et ma femme, le 29...", lâche Eric.
"Les militaires français sont revenus" pour sauver les personnes encore en vie le 30 juin, relève-t-il. "Il faut le reconnaître", dit-il. "Notre reproche, c'est qu'ils l'ont fait à la suite de pressions des médias" et "qu'ils auraient dû le faire avant, lorsqu'ils en étaient informés et capables".
"Un scandale français"
Bernard Kayumba, qui avait 25 ans à l'époque, juge toujours "incompréhensible" l'attitude des militaires français. Il venait de passer un mois terré avec sept personnes "dans un trou creusé à la main, la nuit, en cachette des tueurs".
"On était épuisés, des morts-vivants; il y avait des cadavres ici et là; on leur a dit +vraiment, il ne faut pas nous abandonner parce que si vous partez, ils (les tueurs) vont descendre sur nous+" des collines environnantes, relate-t-il.
"Mais ils ont répondu qu'ils n'étaient pas bien préparés, qu'ils allaient surveiller la zone avec des hélicoptères puis revenir", rapporte-t-il. Les militaires français "avaient des moyens de communication pour demander une intervention ou des effectifs à proximité", affirme Bernard. "Pourquoi dans trois jours et pas dans une heure?".
Face à cette réponse, "tout le monde était désespéré; je leur ai demandé de nous achever, de nous lancer une bombe pour en finir avec nous...", témoigne-t-il.
Si les Français "avaient rempli leur mission humanitaire" et s'"ils étaient restés le 27, environ 1.000 Tutsi n'auraient pas été tués", s'émeut Eric.
Pour Bernard, "Bisesero reste un scandale français".
Abidjan4all.net avec AFP